Surveillance, discrimination et gestion de la sismicité induite par les activités industrielles

Motivation

En Belgique, deux nouveaux projets de géothermie sont en cours de réalisation, à Mol (Balmatt), et à Mons. Il s’agit de sites où des forages profonds sont effectués : 3800 m à Mol, 2500 m à Mons. Dans les deux cas, il s’agit de sites expérimentaux, qui fourniront un retour d’expérience pour une exploitation de la géothermie à plus grande échelle en Belgique. La géothermie consiste à pomper l’eau chaude d’un réservoir à partir d’un puit de production, tandis que l’eau refroidie est réinjectée dans un autre puit. Des tests effectués par VITO à Balmatt en septembre 2016 ont déclenché plus de 600 petits séismes, dont le plus important atteignit une magnitude 0,9, trois semaines après l’arrêt des tests1. S’en sont suivis des séismes de magnitude 1,2 le 18 décembre 2018 et de magnitude 1,5 le 18 janvier 2019. Après une nouvelle série de tests à Balmatt, un séisme de magnitude 2,1 s’est produit le dimanche 23 juin 2019. Cet événement a été ressenti à Mol, Dessel et Retie, et s’est produit 2 jours après la mise à l’arrêt des tests d’injection et l’arrêt de la centrale géothermique.

Se pose dès lors la question de la gestion des aléas et risques liés à ces activités effectuées auprès de centres urbains, d’industries à risque (type SEVESO ou nucléaires). C’est d’autant plus vrai dans le voisinage immédiat de failles potentiellement actives. Le texte qui suit donne quelques informations sur les séismes induits par l’homme, leurs causes, ainsi que les aléas qui y sont liés.

Séismes induits

On observe un nombre croissant de tremblements de Terre induits par l’homme. Ils peuvent être causés entre autres par des explosions, le stockage et l’extraction des ressources d’hydrocarbones, l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole, la production d’énergie géothermique, les activités minières, la séquestration du CO2, la gestion de réservoirs d’eau, etc. (Figure 1).

Figure 1. Principales activités industrielles susceptibles d’induire de la sismicité. Crédit: Grigoli et al.2

Dans le cas des explosions, les séismes sont causés par la détonation elle-même. Ces événements sont essentiellement dus aux tirs de carrière et de génie civil, aux destructions d’anciennes bombes de la première et seconde guerre mondiale, aux tests nucléaires, ainsi qu’à des événements tragiques tels des explosions de gaz. On n’a pas de raison de penser que ces événements peuvent induire des tremblements de terre tectoniques.

Dans les cas autres que des explosions, les séismes sont causés par l'activité industrielle elle-même ou par des modifications apportées dans la Terre. Des tremblements de terre ont été provoqués par le retrait ou l’ajout de masses (mines de charbon, mise en eau d’un barrage, comme en Inde ou en Chine, par exemple), ou par pompage de gaz et/ou de fluides en profondeur. Voici quelques exemples de séismes causés par de telles activités humaines:

  1. Région de Denver, Colorado, USA. Dans les années ’60, où l’injection d’eaux usées a causé 1584 séismes, dont 3 de magnitude supérieure ou égale à 53;
  2. Bâle, Suisse, 2006. L’injection d’eau à des fins géothermiques a causé un séisme de magnitude 3,4, ainsi que des dégâts légers, ce qui a causé l’arrêt du projet. Ce tremblement de Terre s’est produit cinq heures après l’arrêt des tests d’injection ;
  3. Oklahoma, USA, où s’est produit en 2016 le plus fort séisme jamais produit par des injections de fluides, la magnitude égalait 5,8. Notons aussi que pour l’instant, l’Oklahoma connait davantage de séismes de magnitude supérieure à 3 que la Californie, toujours en raison des injections 4,5
  4. Groningen et Venlo (Pays-Bas): des séismes persistants, dus à l'extraction de gaz, ont également causé l’abandon de l’exploitation géothermique à Groningen. A Venlo, les activités géothermiques sont arrêtées après le tremblement de terre de magnitude 1,8 du 3 septembre 2018. Le bureau néerlandais d’Etat Staatstoezicht op de Mijnen, en tant qu'organisme de réglementation, supervise de manière indépendante toutes les activités industrielles.

Surveillance de l’activité sismique induite

Jusqu’à présent, aucun séisme causé par injection de fluide n’a causé de blessures graves, ni de dégâts notables. De même, il est de nombreux sites où l’injection d’induit pas d’activité sismique notable. Mais il convient de rappeler des règles de prudence, d’informer la population et de l’impliquer dans les projets. Dans certains cas, des séismes suffisamment importants ont entrainé des procédures judiciaires, ont forcé des industries à arrêter leurs opérations, ou à diminuer fortement la production. C'est, par exemple, le cas de l'extraction de gaz à Groningen ; mais malgré la réduction de l'extraction de gaz et la perte économique associée, il subsiste des tremblements de terre qui sont ressentis par la population (par exemple, magnitude 3,4 le 22 mai 2019).

Les conséquences possibles de l’exploitation géothermique ne sont donc pas à sous-estimer. Afin d’en limiter la portée, les points importants à suivre sont:

  1. Installation d’un réseau de surveillance sismique dense et adapté à la géométrie du dispositif industriel d’exploitation; cet aspect de la question est de la responsabilité du gestionnaire du projet, sous la supervision des autorités compétentes. Ce réseau est indispensable pour déterminer avec précision les magnitudes et localisations des séismes. Les données scientifiques doivent être accessibles aux autorités et chercheurs scientifiques;
  2. Un tel réseau devrait être opérationnel avant le début de l’activité industrielle, afin d’obtenir une idée correcte de la sismicité naturelle;
  3. Développement ou utilisation d’outils d’exploitation des données sismiques afin de fournir des informations correctes en temps réel. Des analyses à l’aide de méthodes géophysiques complémentaires peuvent être envisagées6;
  4. Etude de l’aléa sismique et de son évolution temporelle (probabilité de dépasser un niveau donné des mouvements du sol lors d’un séisme) et des risques (probabilité de subir des dégâts, estimation de leurs coûts); détermination des mesures de mitigation (diminution du risque)7;
  5. Plan d’action, par exemple création d’un “système de feu de circulation” (Traffic Light System) comprenant des seuils au-delà desquels l’activité industrielle doit être réduite voire arrêtée. Ce système peut être basé sur la magnitude, la valeur de b (c.-à-d., le nombre de séismes en fonction de la magnitude), la sismicité (nombre d’événements par heure), et la localisation des événements (c.-à-d., vérifier s’il y a une interaction avec une faille préexistante connue, que l’on aura pris soin de cartographier avec précision). Le plan doit aussi prévoir un protocole de modification des processus industriels, y compris l’abandon définitif;
  6. Recherche des raisons pour lesquelles le système de feux de circulation est passé au rouge. De nombreux phénomènes peuvent induire les tremblements de terre. Des études sont nécessaires pour trouver les causes des séismes induits, qui ne sont à ce jour pas bien comprises. Les variations des forces de frictions, des tensions, de la pression du fluide, du volume du réservoir, la présence de fractures inconnues ou d’irrégularités à la surface du plan de faille, la forme et orientation de la faille, les processus de cimentation, les variations hydrologiques, la résistance critique à la rupture, sont autant de paramètres qui peuvent contribuer à provoquer un séisme.
  7. Les réglementations doivent être décidées au niveau européen 2.

Un article récemment publié dans Review of Geophysics2 résume les questions qui se posent en matière de surveillance : discriminer — c.-à-d. les capacités à discerner sismicité naturelle et induite — et gérer la sismicité induite. L’article souligne les défis scientifiques et sociétaux posés par la sismicité induite en Europe. Les acteurs impliqués tels le secteur industriel et les autorités devraient prendre connaissance de ces informations. Nous recommandons également le guide “ “GoodPractice” Guide for Managing In-duced Seismicity in Deep Geothermal Energy Projects in Switzerland “ édité par le Service Séismologique Suisse à l’ETH Zürich.

Conclusions

L’exploitation géothermique, comme toute activité industrielle, comporte certains risques 7,8 : les barrages peuvent rompre, les éoliennes causer des nuisances, les rejets de CO2 perturbent le climat, et les panneaux solaires nécessitent des matières premières difficiles à extraire. L’exploitation géothermique comporte également des risques, puisqu’elle peut provoquer des séismes.

Un récente étude démontre que ces aléas et risques peuvent être acceptés par la population, pourvu qu’elle soit pleinement associée au projet et que démonstration soit faite que les opérateurs et autorités régulatrices prennent toutes les mesures à ces fins; c’est là le concept de « géoéthique » 9. Un projet de géothermie ne doit pas qu’être un projet commercial. Les aspects scientifiques, légaux et sociologiques doivent être inclus. Ainsi, sur bases scientifiques, il convient de débattre des risques avec la population, les assureurs, les opérateurs et les autorités 10, ne perdant pas de vue que les risques ne sont pas seulement technologiques ou commerciaux, mais aussi liées à l’aléa sismique.

La sismicité induite constitue un problème interdisciplinaire, mêlant données sismologiques, géodésiques, hydrogéologiques, industrielles, ainsi que modèles. La mise en commun de ces informations, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, est primordiale pour une meilleure compréhension et partant, gestion, de l’exploitation de la géothermie.

Lecture

Quelques suggestions d’articles introductifs à la problématique et contenant de nombreuses références :

  1. Lecocq, T. & Camelbeeck, T. Induced Seismic Activity at the Balmatt-site. (Royal Observatory of Belgium, 2017).
  2. Grigoli, F. et al. Current challenges in monitoring, discrimination, and management of induced seismicity related to underground industrial activities: A European perspective. Rev. Geophys. (2017). doi:10.1002/2016RG000542
  3. Healy, J., Rubey, W., Griggs, D. & Raleigh, C. The Denver Earthquakes. Science 161, 1301–1310 (1968).
  4. Manga, M., Wang, C.-Y. & Shirzaei, M. Increased stream discharge after the 3 September 2016 M w 5.8 Pawnee, Oklahoma earthquake: Stream Response to an Induced Earthquake. Geophys. Res. Lett. 43, 11,588-11,594 (2016).
  5. Petersen, M. D. One-Year Seismic Hazard Forecast for the Central and Eastern United States from Induced and Natural Earthquakes. Seismological Research Letters (2018) 89 (3): 1049-1061.
  6. Abdelfettah, Y., Sailhac, P., Larnier, H., Matthey, P.-D. & Schill, E. Continuous and time-lapse magnetotelluric monitoring of low volume injection at Rittershoffen geothermal project, northern Alsace – France. Geothermics 71, 1–11 (2018).
  7. McGarr, A. et al. Coping with earthquakes induced by fluid injection. Science 347, 830–831 (2015).
  8. Giardini, D. Geothermal quake risks must be faced. Nature 462, 848–849 (2009).
  9. Meller, C. et al. Acceptability of geothermal installations: A geoethical concept for GeoLaB. Geothermics (2017). doi:10.1016/j.geothermics.2017.07.008
  10. Kraft, T. et al. Enhanced geothermal systems: Mitigating risk in urban areas. Eos 90, 273–274 (2009).